Regard critique

Introduction Notre exploration des ressources de ce séminaire relative à la théorie de l’activité
(TA) nous a permis de comprendre l’intérêt d’analyser l’activité de l’enseignant et des élèves à
partir de la théorie de l’activité. Nul doute que ce fondement théorique est une référence
pertinente pour analyser les pratiques. D’ailleurs, l’abondante littérature relative aux travaux de
Vygotsky, Leontiev et plus tard ceux d’Engeström en ont déjà fait état concernant les pratiques
enseignantes ou celles des apprenants. Nous ne reviendrons donc pas sur les apports de la TA.
Ici, il sera question des limites que peut rencontrer l’analyse des pratiques à partir de cette
théorie seule. En ce sens, nous ferons état ici dans un premier temps de quelques apports qui
peuvent servir de compléments pour l’analyse des pratiques dans un contexte pédagogique.
Ensuite, nous proposerons en deuxième partie de propos, quelques réflexions avancées, avec
toutefois une certaine précaution, des limites de la TA en ce qui concerne les pratiques
pédagogique émergentes liées aux réseaux sociaux numériques (RSN).
La théorie des situations, théorie de l’action conjointe, action située en compléments de la
TA La théorie des situations permet « d’expliquer de façon rationnelle les phénomènes
d’enseignement, phénomènes qui suscitent en général davantage l’empirisme ou l’opinion que le
discours raisonné » (A. Bessot, 2000-2004) et constitue de ce fait un complément à la TA. Le
triangle didactique et les diverses relations élèves/enseignant/savoir qui le caractérise
permettent de mettre en exergue les règles, les devoirs de l’enseignant face à l’élève et de
l’apprenant vis-à-vis de l’enseignant. Ces règles peuvent s’inscrire dans celles du schéma
d’Engestrom (1987) pour rendre compte des attentes des divers actants pour comprendre
notamment le processus de transmission et l’apprentissage des connaissances (Chevallard).
L’activité ne se réalisant que dans l’action et non étant une planification ou encore une mise
en œuvre d’une programmation, c’est-à-dire avec ses imprévus, ses ajustements, ses ruptures
dans le programme prévu, il convient de considérer l’action située comme la réalisation d’une
action bien plus complexe que la simple exécution d’un plan donné. A cet effet, Schuman
préconise la prise en compte des circonstances dans lesquelles s’effectue toute action, c’est-à
dire en prenant en compte les éléments d’ordre matériel, social, pour aboutir à une « action
intelligente » (Schuman).et parce que l’activité de l’enseignant tout comme l’activité d’un
individu « n’est en aucune façon réductible à la somme des actions individuelles »
(Engestrom, 2000), il faut également prendre en compte la situation dans laquelle l’action a
lieu. En ce sens, les notions de situations (situations didactiques et adidactiques) (Bourdieu),
de milieux, d’action conjointe (Sensevy) constituent des compléments pertinents. L’action
conjointe stipule que l’activité de l’enseignant ne peut se faire sans considération de celle de
l’apprenant et vice versa. Il convient donc de prendre en compte les divers actants prenant
part à l’activité analysée.
La TA, une base importante pour la conception des EIAH mais des limites avérées Bien que la
théorie de l’activité s’avère essentielle pour la conception de ressources pédagogiques, cette
théorie s’avère limitée concernant la conception des environnements
informatiques d’apprentissage humains (EIAH) car elle n’a pas été pensée pour le transfert
dans un environnement informatique. Par exemple, certains chercheurs comme Tchounikine
et Tricot pointent les insuffisances de la TA malgré qu’elle soit perçue comme un « substrat
conceptuel pour « penser » les situations pédagogiques visées et l’EIAH à concevoir. La TA en
tant que « théorie générale » présente un écart « entre la description de la théorie et son
exploitation comme principe de conception d’un système informatique ». Des questions
restent en
suspens notamment « la possibilité de mise en relation éventuelle des dimensions temporelles
sous-jacentes de la TA avec la dimension des situations temporelles d’un EIAH » (Tchounikine &
Tricot).
L’importance de l’approche plurielle pour analyser l’activité médiatisée Le recours aux
supports pédagogiques médiatisés implique un artefact technologique entre l’enseignant/ les
élèves et l’objet du savoir. Cette médiatisation de par les dimensions sous- jacentes ainsi que le
concept de genèse instrumentale adossée à l’appropriation de l’outil vers le statut d’instrument,
implique le recours à des champs disciplinaires divers comme par exemple les sciences de la
communication et de l’information, l’informatique, la psychologie, l’ergonomie, etc. La
conception, l’appropriation de supports pédagogiques médiatisés impliquant de prendre en
compte ces divers champs disciplinaires, la TA s’avère ici encore insuffisante pour rendre compte
des phénomènes en jeu.
TA et traces numériques d’activité des e-apprenants : une insuffisance à combler Dans le
séminaire de recherche relatif aux traces d’activité (A. Jaillet), nous avons également pu voir
l’importance du rôle joué par les traces numériques des apprenants pour analyser l’activité.
Cependant, l’analyse de ces traces seules est insuffisante pour rendre compte de de l’activité
réelle de l’apprenant ou encore de celle de l’enseignant dans un environnement d’apprentissage
à distance. En effet, le rapport synecdoque-métonymie auquel sont liées les actions ou
opérations et effectué à partir de l’analyse des traces peut être trompeur comme l’affirme
l’auteur : « avec une bonne métonymie, on peut faire croire à la synecdoque que l’on veut » (A.
Jaillet). Dans ses travaux relatifs aux traces d’activité, A. Jaillet parle du triplet d’activité pour
rendre compte de l’activité de l’apprenant à partir de ses traces numériques. Selon l’auteur,
l’assiduité, la disponibilité et l’implication sont des indicateurs d’activité dans des
environnements d’apprentissage informatisés (Traces, A. Jaillet, 2005).
Comme il est dit dans l’ouvrage de A. Jaillet (Traces), les traces seules peuvent être
trompeuses pour rendre compte de l’activité réelle. Il est même mentionné un cas de
détournement mentionné par une doctorante. D’un point de vue personnel, notre expérience
de la FOAD en tant qu’e-apprenante nous a permis de rendre compte de l’importante somme
de travail que peut mobiliser un(e) étudiant(e) sans même que ce travail soit perceptible et ne
puisse faire l’objet d’analyses. Comment, dans ce cas, rendre compte de l’activité réelle alors
que beaucoup d’éléments ne sont pas accessibles au chercheur si on s’en tient au fait que
beaucoup de travaux, d’échanges, de productions se font en dehors des canaux institutionnels
que sont les outils mis à disposition à partir des plateformes pédagogiques ? Pour donner un
exemple concret, dans le cadre de la formation ACREDITE que nous avons suivie en 2014,
énormément d’apprenants utilisaient des outils autres que ceux que l’institution mettait à leur
disposition parce que ces outils étaient jugés incomplets car peu perméables aux modifications
simultanées lors des travaux collaboratifs. Par conséquent, si l’on devait analyser l’activité des
apprenants, ces traces d’activité seules se situant hors du canal officiel, seraient restées en
dehors des analyses et pourtant ces travaux, ces échanges ont été importants et pour beaucoup
d’entre eux, se situaient en dehors de E-Space. Pour terminer avec ce propos, on peut même
rajouter les apports issus de la théorie de la motivation dont l’autodétermination (Deci & Ryan,
2000) ou encore le modèle de motivation d’acceptation de la technologie (TAM, Davis, Bagozzi
et Warshaw (1989)) mis en exergue dans certaines recherches (Karsenti & Rasmy) pour
compléter l’analyse des pratiques des apprenants, leur motivation dans un dispositif de
formation en ligne ou encore la façon dont ils appréhendent et s’approprient la technologie.
L’analyse d’orientation psychanalytique en appui à la TA Nous avons mentionné
précédemment l’apport du triplet d’activité dans l’analyse des traces d’activités des apprenants
via des plateformes de formation mais cette analyse des traces peut aussi partir d’une approche
d’orientation psychanalytique. En effet, cette approche, telle que prônée par Jean Luc Rinaudo,
peut s’avérer être un complément non négligeable dans certains cas d’analyse de pratiques
éducatives concernant notamment des nouvelles pratiques liées aux TIC. L’explosion des formats
de cours à distance, avec ses situations d’échanges asynchrones via forum par exemple rend
difficile une analyse intégrale rendant compte de ce qui se joue réellement pour les différents
acteurs engagés dans les forums de formation. Ce propos rejoint la position de J. L. Rinaudo
lorsqu’il propose d’aller plus loin dans les analyses des forums électroniques. L’auteur pointe du
doigt que les « pratiques fines des traces informatiques des communications médiées par
ordinateur sont certes importantes mais restent insuffisantes pour comprendre, rendre intelligibles
les pratiques des sujets engagés dans ces dispositifs (J.L. Rinaudo, 2007), raison pour laquelle
l’auteur avance la nécessité de complémenter l’analyse de la pratique avec la démarche de
recherche clinique d’orientation psychanalytique. En effet, les signes visibles de la distance
rendent invisibles beaucoup d’émotions chez les apprenants. D’un point de vue personnel, nous
avançons avec précaution qu’une analyse de discours de certains apprenants via les forums
pourrait s’avérer stérile en ce qui concerne les rapports réels entre ces apprenants car les
échanges peuvent être manipulés ou effectués avec beaucoup de précaution. Le cas présent de la
formation TECHEDU est un exemple, parmi tant d’autres, des rapports qui se jouent entre les
participants, rapports de proximité nouvellement noués ou créés depuis la formation ACREDITE,
rapports contraints ou encore
des absences de confrontation directe pour éviter les conflits. Pour illustrer ce propos, nous
avons même eu droit à un commentaire d’un(e) participant(e) qui souhaitait intervenir de
manière directe pour « calmer » un(e) autre participant(e) dont les interventions créaient de la
confusion dans les esprits mais qui s’est finalement résolu(e) car cette personne craignait de
se mettre toute la promotion sur le dos. De même, nos propos personnels via le forum sont
eux-aussi empreints d’une certaine maîtrise, avancés avec précaution eu égard au cadre dans
lesquels ils se positionnent car ne sont jugés corrects que certains propos alors que d’autres
sont et resteront probablement dans l’implicite voire enfouis au sens freudien du terme. Tout
ceci pour dire que finalement, les interventions restent souvent « pommadées » car il y a certes la
nétiquette à respecter vis-à-vis de l’institution, vis-à-vis des rapports sociaux- professionnels qui
existent entre les participants mais il y aussi le lien à nouer ou à maintenir de manière
authentique ou superflue avec le groupe et qui reste important pour construire ensemble de
nouveaux objets de savoir.
Par conséquent, comment analyser alors l’activité des apprenants étant donné qu’une grande
part de ces échanges relève de non-dits et d’implicite? Parce que les gestes professionnels et
les actions sont insuffisants pour rendre compte des pratiques des enseignants ou des élèves
car ils mobilisent des « représentations, des idéologies et des croyances » (J. L. Rinaudo),
l’approche psychanalytique présente un intérêt indéniable. L’auteur évoque même une
assimilation de ces pratiques à des actes régis par l’inconscient en référence à la psychanalyse
freudienne. Il en est de même pour des situations de classe où l’intégration d’un outil
technologique va modifier le rapport au savoir car « agissant sur le désir ou l’effacement du
soi », nécessitant alors une approche sous l’angle psychanalytique afin « de mettre en relief
certaines pratiques dans leur dimension inconsciente. (Rinaudo, 2009) ». Cependant, l’auteur
reconnaît l’insuffisance de cette approche pour comprendre la relation pédagogique et
préconise d’autres apports issus des sciences humaines et sociales (Rinaudo, 2014).
La TA insuffisante pour l’analyse de l’écart entre le prescrit et le réel L’activité de l’enseignant
ne se restreignant pas au seul environnement de la classe, il est difficile d’interpréter
intégralement ou encore de donner du sens à partir de l’observation seule de l’activité. Hors
l’analyse de l’activité à partir de la TA part des faits observables et ne rend pas compte de
l’implicite, du non-fait, du prévu non réalisé ou ajusté. L’analyse de l’écart entre le prescrit_
puisque la tâche de l’enseignant est avant tout une tâche de mise en œuvre de prescriptions_ et
le réel est donc essentielle pour connaitre ce qui se joue vraiment dans l’activité de l’enseignant,
pour rendre compte du sens à donner à ses actions mais aussi à ce qu’il n’a pas pu accomplir. Par
exemple, hors de la classe, l’enseignant est amené à préparer la séquence d’enseignement. Il va
ainsi procéder à une planification de son activité. Dans la
classe, l’enseignant est amené à dispenser la séquence qu’il a préparée (L. Jeannin, 2006). Pour faire le
lien avec l’action située, il est important de prendre en compte les circonstances dans lesquelles
s’effectue toute action, c’est-à-dire en prenant en compte les éléments d’ordre matériel, social,
pour aboutir à une « action intelligente » car aucune planification prévue logiquement en amont
de la séquence ne peut aboutir à la réalisation de l’activité de manière identique par rapport à ce
qui a été prévu par l’enseignant (Schuman, 2007). Ainsi, les actions de
l’enseignant viseront également à apporter un « ajustement » à la séquence d’enseignement.
En somme, la pratique de l’enseignant s’effectue par « l’apparition, la persistance ou la
disparition d’invariants dans ses pratiques hors classe et en classe  » avec un ajustement de ses
actions (L. Jeannin, 2006) car l’activité « dépasse les actions sur ce qui est à faire » (Rogalski,
2003).
De l’importance de la réflexivité et de l’auto-confrontation en clinique de l’activité pour
rendre compte de l’inobservable
Pour contrer les insuffisances de la TA notamment concernant la part implicite des processus
enseignement -apprentissage ou encore de l’inobservable dans les pratiques éducatives, le recours
à la méthode d’auto-confrontation en clinique de l’activité s’avère essentielle car cette technique,
empruntée à la psychologie du travail,
permet de « saisir l’activité de travail, c’est-à-dire ce qui
se fait réellement, mais aussi “ce qui ne se fait pas […], ce que l’on aurait voulu ou pu faire” sans
y parvenir, et donc non seulement la tâche, le travail tel qu’il devrait être fait » (Clot et
al., 2000)
et la pratique de la réflexion chez l’enseignant pour mieux saisir l’activité de
l’enseignant. Cette perspective d’analyse de l’activité prend comme postulat de départ que
l’action seule est insuffisante pour rendre compte de l’activité surtout qu’une partie de cette
activité est inobservable. Ainsi, un retour de l’enseignant sur ses actions est nécessaire pour cerner
les intentions réelles du sujet agissant car beaucoup de ses actions sont produites de manière
inconsciente. Si l’on observe les faits, il y a des écarts entre les actions de l’enseignant , ce qu’il
avait l’intention de faire, ce qu’il fait qui sont susceptibles d’être traduits et tous ces aspects sont
essentiels pour une compréhension de son activité.
Cependant, les réelles motivations restent
sous-terraines, même dans des cas d’auto-confrontation car nous avons tous une zone privée
qu’on ne souhaite pas divulguer, en tant qu’adultes et d’autant plus s’il s’agit d’enfants à
observer et dont il est difficile de recueillir les « pensées secrètes » ou encore «l’activité
masquée » (S. Moussay & E. Flavier). En somme, bien que l’auto-confrontation reste un bon
moyen de complémenter et de démystifier les pratiques enseignantes, elle ne fait que réduire
l’inobservable mais pas de faire la lumière intégrale sur les motivations qui ont poussé le sujet
à agir.
Réseaux sociaux numériques et TA : la théorie des réseaux sociaux pour comprendre les
pratiques des enseignants au sein des réseaux d’apprentissage connectivistes
Les pratiques des enseignants sont, pour beaucoup d’entre elles, désormais inscrites dans des
systèmes externalisés et globalisés, entendons par là les pratiques pédagogiques via les réseaux
sociaux numériques (RSN) de résonnance connectiviste. Comment les comprendre et analyser les
pratiques enseignantes lorsque l’espace qu’offre le réseau social numérique, et les connexions qui
s’y font placent désormais l’enseignant dans un système caractérisé par l’openess (G. Siemens)
et de fait, marqué par le « chaos informationnel » (P. Lévy) puisque c’est bien l’un des éléments
qui caractérisent l’apprentissage connectiviste ? Ce qui suit relève davantage d’un propos personnel
car nous devons admettre qu’il est pour l’instant encore tôt pour avoir une vision plus solidement
fondée en vue d’étayer une critique de la TA et les réseaux sociaux numériques fortement appuyée.
Cela étant, nous pouvons nous interroger sur l’apport de cette théorie dans des systèmes
d’apprentissage beaucoup plus complexes que sont les réseaux d’apprentissage connectiviste. En
effet, l’apprentissage n’étant plus limité aux frontières seules d’une classe, d’un groupe dans le cadre
d’une situation formelle d’apprentissage mais débordant bien au-delà des espaces physiques,
temporels habituels, cette théorie reste-t-elle toujours autant pertinente ? Si l’on doit analyser par
exemple, l’activité d’étudiants ou d’enseignants utilisant un RSN comme Twitter dans le cadre d’un
cours universitaire, que dire de leur activité ? Que dire de celui d’un apprenant ?
L’activité d’un individu, en l’occurrence celui de l’élève ou de l’enseignant, étant toujours « en écho » à
celui d’un autre et vice versa (Sensevy), comment comprendre alors et analyser ces interactions, ces
maillages de nœuds aux frontières plus qu’étendues voire inconnues ? L’analyse faite d’Engeström
concernant les systèmes d’hôpitaux peut-elle justifier ou s’assimiler à un tel système de structures
hyper complexes que sont les communautés virtuelles d’enseignants, les espaces personnels
d’apprentissage des apprenants ou des enseignants eux-mêmes œuvrant à la fois vers un but
commun mais en même temps appartenant à des institutions différentes, des groupes hétérogènes
intra et extra-frontaliers ? Ces espaces communautaires, ces espaces personnels d’apprentissage
font émerger un collectif d’enseignants ou d’apprenants qui n’est plus dans une appartenance réduite
par exemple à l’éducation nationale en France mais qui s’inscrit également dans des communautés
globales provenant d’Europe, d’Amérique, d’Asie, d’Afrique. Tous ces systèmes de réseaux dans
lesquels s’inscrivent l’activité enseignante et l’activité de l’apprenant 2.0 s’interconnectent en ayant
des objets d’apprentissage différents dont il est difficile de connaître les impacts réels. Comment
imaginer analyser l’activité d’un enseignant enrôlé dans un tel système gigantesque ? Les nœuds que
constituent chaque individu dans un réseau social par exemple peuvent s’assimiler aux différents
systèmes d’activité. Si l’analyse de son activité doit se faire sans s’abstraire de l’analyse de l’activité
des apprenants, de ses pairs, etc., comment percevoir, capter l’analyse de l’activité de ces
apprenants?
Dans un article publié sur son blog personnel, Dr Mohammed However écrit que : « in the new
knowledge intensive era, it is increasingly evident that knowledge is highly complex and that
dealing with knowledge is definitely not reducible to any sequence of actions » (dans la
nouvelle ère intense de la connaissance, il est de plus en plus évident que la connaissance
est d’un niveau de complexité élevé et traiter de la connaissance ne peut pas se réduire à une
séquence d’actions). Selon ce même auteur, les actions formant le cycle d’apprentissage
étendu d’Engeström ne sont pas les seules à maîtriser dans des systèmes de connaissance
hautement complexes (The actions which form Engeström’s expansive learning cycle are not
the only kinds of actions that must be mastered and performed in highly complex knowledge
ecologies). En clair, il faudrait une approche plus vaste que la troisième génération
d’Engeström, malgré sa dimension collective, pour arriver à rendre compte des pratiques qui
sont en œuvre via ces types de systèmes d’activités que sont les réseaux sociaux et les
apprentissages qui s’y forment et se développent. Une proposition intéressante est proposée
par l’auteur dans le même article.
Une activité basculant entre sphère professionnelle et sphère privée via les réseaux
sociaux numériques (RSN)
On peut aussi s’interroger sur ce qu’est une activité professionnelle dans ce type de réseau
notamment lorsque l’on sait que la sphère privée et la sphère publique s’entremêlent désormais. Une
activité professionnelle d’échanges de ressources, dans un but de développement professionnel où
les ressources éducatives libres (OER) peuvent être associées à des instruments (M. Dreschler) ou
même dans le cadre d’un cours, évolue dans ce que Pierre Lévy appelle le « chaos informationnel »,
tiraillée sous l’influence de forts flux de connexions, d’infinies interactions et qui ne sont très
probablement pas sans effet sur l’activité assignée par l’enseignant à sa classe. Dans ce cas,
comment analyser une activité de l’enseignant alors qu’il y a empiétement sur l’activité, sur celle de
l’espace-classe un peu comme si on marchait sur les
plates-bandes de la classe ? Et que dire de celle de l’élève qui, en tant qu’acteur-réseau, jongle
entre activité scolaire et la mise en scène de soi (Goffman, 1983) sur les réseaux, de sa face
publique dans le cyberespace ? Cette « openness » (Siemens) qui caractérise l’éducation
actuelle
et l’apprentissage connectiviste rend par conséquent une analyse à partir de la TA insuffisante. Il
faut complémenter avec des apports issus des théories des sciences de la communication et de
l’information, la théorie des réseaux sociaux, etc.
TA, réseaux sociaux numériques et changement de paradigme dans l’apprentissage « Les
nouvelles possibilités de création collective distribuée, d’apprentissage coopératif et de
collaboration en réseau offerte par le cyberespace remettent en question le fonctionnement des
institutions et les modes habituels de division du travail aussi bien dans les entreprises
que dans les écoles » (P. Lévy).
On peut alors s’interroger sur les effets de cette remise en cause
dans la division du travail en tant que l’un des pôles du schéma d’Engeström dans l’analyse de
l’activité de l’enseignant ou de celle de l’apprenant. Le schéma étendu d’Engeström rend-il
compte suffisamment des enjeux de cette hyper complexité ? Les
actions, telles qu’elles sont
entendues au sens leontivien, peuvent-elles désormais se réduire aux actions des individus
étant donné qu’une part des traces d’activité est effectuée en dehors du champ de contrôle
de l’individu si l’on en juge par l’analyse qui est faite de l’activité d’un individu sur les réseaux
sociaux numériques ? Prenons l’exemple de Twitter qui se caractérise, en plus de l’action
consciente et volontaire de l’individu, par le taux d’engagement des tweets, le taux
d’impression ou encore le taux de conversion : ici, l’activité de l’enseignant tout comme celle
de l’apprenant subit des fluctuations du réseau non seulement sous l’effet du « chaos
informationnel » (P. Lévy) mais aussi au travers des multiples interactions au milieu
desquelles elle est se positionne : elle n’est donc plus sous le contrôle seul de l’individu à
l’origine de l’activité.
Conclusion En somme, nous avons montré, au travers de ces quelques exemples, que la théorie
de l’activité est une base pertinente pour analyser l’activité dans un cadre pédagogique mais sa
mobilisation suppose également des recours à des apports théoriques issus de plusieurs autres
champs scientifiques. Le croisement interdisciplinaire, la théorie des situations, de l’action
conjointe, le triplet d’activité des traces numériques ou encore une approche clinique sont
quelques-uns des apports nécessaires à l’analyse des pratiques éducatives.
Références bibliographiques
Amigues René, « Le travail enseignant : prescriptions et dimensions collectives de
l’activité », Les Sciences de l’éducation – Pour l’Ère nouvelle, 2/2009 (Vol. 42), p. 11-26.
Les théories de l’action et de l’activité, L. Vieillard
Théorie de l’activité et management, Y. Engeström(http://www.cairn.info/revue-management
et-avenir-2011-2-page-170.html)
La théorie de l’action conjointe en didactique. Premières directions (chap.1) (Sensevy ;
chap.1) http://python.espe-bretagne.fr/sensevy/sensdusavoir/LeSensDuSavoirChap1.pdf
Appropriation par un enseignant de physique d’une nouvelle séquence d’enseignement : cas
de la mécanique en seconde (L. Jeannin)
Les déterminants de la motivation des enseignants en contexte de développement
professionnel continue lié à l’intégration des technologies (T. Karsenti & A. Rasmy)
Pertinence de l’approche clinique d’orientation psychanalytique dans l’analyse des forums
électroniques en formation – J. L . Rinaudo
Entretien avec Jean Luc Rinaudo,2014 https://dms.revues.org/1370
e-portfolio Schultz Francis Approche freudienne des TIC, Analyse du texte de J.L. Rinaudo
https://sites.google.com/site/schultzfrancisportfolio/approche_freudienne_tic
Entretien d’autoconfrontation , Edutech Wiki UNIGE
Blog Dr M. Daminechatti http://edutechwiki.unige.ch/fr/Entretien_d’autoconfrontation
http://mohamedaminechatti.blogspot.com/2009/11/laan-vs-activity-theory.html
Environnements informatiques et apprentissages humains (P. Tchounikine, A. Tricot)
Le nouveau rapport au savoir (Cyberculture) (P. Lévy)
http://www.ub.edu/prometheus21/articulos/obsciberprome/levy2.pdf
Le numérique dans l’enseignement et la formation – (A. Jaillet)
Ingénierie des indicateurs d’activités à partir de traces modélisées pour un Environnement
Informatique d’Apprentissage Humain- (T. Djouad, A. Mille, C.Reffay, M. Benmohamed)
Analyse des réseaux sociaux
https://fr.wikipedia.org/wiki/Analyse_des_r%C3%A9seaux_sociaux
Une introduction `à la théorie des situations didactiques (Master ”Mathématiques,
Informatique” de Grenoble 2003-2004) Annie Bessot
L’analyse didactique des pratiques de classe: outils et actions d’identifications des logiques
d’actions enseignantes en mathématiques (F. Ligozat)
L’entretien d’autoconfrontation: la prise en compte du point de vue de l’élève pour
développer l’activité en classe (S. Moussay & E. Flavier)
Les pratiques du socialbookmarking dans le domaine de l’éducation. Affordances
sémantiques, socio-cognitives et formatives -M. Dreschler